Quantcast
Channel: Parergon » Camus
Viewing all articles
Browse latest Browse all 7

Du philosophe médiatisé au penseur médiatique, le sceau de l’image…

$
0
0

François-René de Chateaubriand, méditant devant les ruines de Rome, peint par Anne-Louis Girodet-Trioson, 1808, Musée de St Malo.

En 1816, un jeune homme de quatorze ans a, paraît-il, écrit dans son cahier d’écolier : “Je veux être Chateaubriand ou rien”, il s’est mis à écrire ; il est devenu Victor Hugo. Le jour de ses obsèques nationales et de son entrée directe au Panthéon, la rue où il habitait portait son nom depuis treize ans et son oeuvre était devenue un paysage français, typiquement français, au même titre que le Mont St Michel. Ses meubles, ses manuscrits et ses personnages sont maintenant des pièces précieuses du patrimoine national… C’est un saint Républicain, une figure sacrée, il a suscité lui-même l’imitation.

Que ferait aujourd’hui celui qui voudrait devenir Bernard-Henri Lévy ou Michel Onfray ? S’achèterait-il des chemises ou des lunettes facilement reconnaissables ? Se laisserait-il pousser les cheveux ? Prendrait-il des airs graves d’inquisiteur des Lettres et des arts ? S’entraînerait-il à construire de belles envolées lyriques, au rythme ternaire, en réponse aux questions potentielles de Laurent Ruquier ? Rêverait-il devant sa glace de croiser le fer avec Zemmour et Naulleau ?

Non bien sûr. Il lirait et il écrirait, BHL comme Onfray doivent leur existence médiatique à leur écriture et rien n’a fondamentalement changé depuis de début du XIX ème siècle et la naissance des industries culturelles… Il faut produire un texte et ensuite le faire connaître pour se faire connaître… Un intellectuel, ça écrit, ça tient la plume, ça pose devant des bibliothèques, ça parle… quel que soit son corps d’origine ; philosophie, littérature, sociologie, Histoire, démographie sociale…  Et puis il ne faut pas prendre les Grands Hommes pour des modestes ou des ascètes iconophobes… on ne sait pas si Victor Hugo a admiré Chateaubriand pour ses seuls écrits ou pour sa pose romantique devant Rome en ruine dans le tableau de Girodet-Trioson peint en 1808. Mais ce qui est sûr, c’est que l’image publique de Chateaubriand a été davantage sculptée par ses écrits, dont l’image devant Rome est une émanation emblématique et fidèle, que par une diffusion à grande échelle de son effigie peinte ou gravée. Le système médiatique n’en était qu’à ses balbutiements. Si les auteurs avaient leurs portraits au-dessus du bureau, et commençaient à apparaître aux yeux du public comme des prophètes (Bénichou), ils devaient encore convaincre la critique (leurs pairs et leurs promoteurs) et leurs lecteurs, à la seule force de leur plume, ne bénéficiant des effets de leur image que de manière secondaire.

Couverture d'un recueil de textes de Chateaubriand (1935)

La gravure, le buste ou l’effigie sur la page du livre étaient des récompenses au succès des livres dans l’industrie culturelle naissante, pas les justifications ni encore les causes mêmes de ce succès…

Mais progressivement, passant du frontispice à la couverture, de la gazette au journal illustré, des magazines d’actualité aux émissions littéraires (comme le magique Apostrophe, capable de transformer, en deux heures bien menées, un jeune homme survolté en grand intellectuel engagé), le système médiatique a fabriqué un magnifique miroir aux alouettes au sein de l’industrie culturelle ; un système d’images où la récompense narcissique et la reconnaissance publique précèdent ou accompagnent  la sortie de l’oeuvre sur le marché… Et les sculpteurs de soi-même sont passés par là, alimentant plus ou moins volontairement la fable …  Sartre est monté sur des barrils, devant des usines, la clope au bec, pour défendre La cause du peuple et nous avons apprécié sa capacité d’engagement … Camus était beau comme un dieu du sud, il dansait comme un dandy dans les pages de Paris Match, au bal donné en honneur de son prix Nobel, en 1957, il séduisait des actrices célèbres… Cartier-Bresson le mitraillait et nous l’avons aimé aussi pour sa belle gueule de séducteur… C’est vrai…

Dans les médias, BHL s’est montré risquant sa vie en Afghanistan, en Bosnie, en Georgie, en vain… et il a enfin rencontré la gloire en Libye… il s’est empressé de tout raconter, preuves à l’appui, pour attester le fait qu’il avait bien réellement provoqué la réussite d’une Révolution ! Youpi ! Mieux que Victor Hugo ! Là, on ne pouvait pas dire qu’il faisait du spectacle, que c’était du vent,  il y avait du concret, Lord Byron c’était lui ! Mais nous l’avons raillé pour cela… Il s’est couvert d’une gloire toute ridicule en se faisant photographier au milieu de Misrata, avec son éternel costume noir sur chemise blanche… Depuis des années, il perd tout crédit à cause du soin qu’il accorde à sa propre image.

BHL à Mistrata saisi par son photographe personnel

Ne pas y croire est un signe de distinction, de distance vis-à-vis de la soupe vendue par les médias, alors même qu’on adhère pieusement à la légende de Sartre … Onfray s’emporte violemment contre Freud sur les plateaux télé ; il suscite une adhésion irrationnelle chez les uns et un rejet violent chez les autres. Lui aussi, il part en campagne, chronique la politique, le social, l’économie, distribue les bons points, s’engage… Il se BHLise disent certains, sa crédibilité s’effrite au fur et à mesure que Le Point fait ses Unes sur ses livres… au fur et à mesure qu’il trouve table ouverte sur tous les plateaux de télé et dans les colonnes de la plupart des hebdomadaires… Il s’installe dans son image et parle depuis sa propre valeur marchande. C’est un aspect important de ce qu’on appellera le passage du philosophe médiatisé (passif / avec un objectif disciplinaire) au penseur médiatique (actif / ayant pour but la médiatisation elle-même, faire savoir quelque chose qu’il juge important). Onfray se sert de son image pour se mesurer à Freud ou à Camus, sachant avec certitude que son livre sera un événement, que son aura médiatique peut “déboulonner” ou “glorifier” des Grands Hommes. Lorsqu’il écrit, il ne nous parle pas de sa table de travail, mais, déjà, du plateau de télévision où il est sûr d’être reçu. On appelle cela la grosse tête, l’inflation narcissique, la mégalomanie, ce n’est qu’un symptôme du passage du “médiatisé” au “médiatique” dans le champ de la pensée… l’illusion que sa légitimité est renforcée par la célébrité… Et, conjointement à cette inflation qui lui fait occuper la Une d’un hebdomadaire, il commence tout doucement à perdre du crédit…

Pourquoi ? Quelque chose a changé ? Nous ne croyons plus à ces imitations des grands Hommes d’hier quand elles semblent happées par leur image, elles nous apparaissent comme des ados attardés qui jouent à être leur héros d’enfance… Comme Victor Hugo avec Chateaubriand. Mais là ça ne marche pas. BHL n’est pas Sartre et Onfray n’est pas Camus, malgré les efforts des hebdomadaires pour le faire croire… aucun des deux ne laissera de trace profonde dans l’histoire de la philosophie ou de la littérature, peut-être plus sûrement dans l’Histoire de la Libye pour l’un, ou dans celle de la ville de Caen pour l’autre…  Le philosophe médiatisé est devenu “médiatique” :

il semble appartenir au médium plus qu’à la réalité de son champ d’origine, il est ainsi devenu un membre du personnel régulièrement invité à la télévision, qui habite presque à la télévision, pense dans les médias, y est parfois salarié, y anime des émissions, c’est un éditorialiste qui aborde tous les sujets et n’a pas de pensée vivante mais une thèse simple et claire à défendre, ou plutôt à décliner en mille lieux et mille visages.

Une de Paris-Match sur Camus après sa mort en janvier 1960

Alors que dans le cas du philosophe médiatisé, la découverte de son image par les lecteurs est consécutive à celle de son texte, pour le penseur médiatique, c’est la découverte de son texte qui est souvent consécutive à celle de son image… On a donc facilement l’impression de le connaître sans même l’avoir lu. C’est un reproche qu’on fait souvent aux contempteurs de Michel Onfray ou de BHL, or, il faut oser le souligner, tout le monde est légitime pour parler de ces deux penseurs, dès lors qu’il les a vus à la télévision, puisqu’ils y interviennent souvent et y disent des choses susceptibles d’être discutées. Dire qu’il faut absolument les lire pour en parler, c’est sous-entendre qu’ils s’expriment comme des pieds sur les plateaux télé… De plus, la plupart des reproches qui leur sont formulés le sont au sujet de leur médiatisation, de leur goût de la publicité personnelle,leurs textes étant moins sujets à débats que leur comportement, narcissisme excessif pour l’un, agressivité irrationnelle pour l’autre.

Le passage du “médiatisé” au “médiatique” correspond alors à un moment indéterminable où le sceau de l’image, du reflet, de l’imitation du Grand Homme au miroir duquel ils se regardent, prendrait le pas sur le sceau de l’écrit. Un moment où la première conférerait de la valeur au second, retournant ainsi le processus originel de la médiatisation… Le “médiatique”, c’est quand le spectacle se coupe de son inscription dans la réalité matérielle, quand le “Je serai Chateaubriand ou rien” ne se joue plus sur le terrain de Chateaubriand, l’écriture, mais dans les yeux des spectateurs qu’il faut convaincre par des images, des poses, des impressions, des effets rhétoriques… C’est d’une certaine manière le Bovarysme récompensé par la machine à fabriquer des illusions… Un spectacle. Le système médiatique actuel (et singulièrement grâce aux talk-shows) a réussi à introduire une rupture dans le jeu de la reproduction des modèles littéraires, il a réussi à y substituer l’image au texte, l’apparence à l’inscription. Un saut qualitatif nous a ainsi fait passer du “médiatisé” au “médiatique”.

Le “médiatisé” est passif, il appartient à son champ d’origine et y reste, le médium lui est étranger, exogène, il vient le chercher où il est, dans sa discipline, et le présente aux regards des spectateurs sur un terrain intermédiaire, celui des médias où il n’est qu’un invité.

Le “médiatique” appartient lui, au champ des médias, pas à 100 %, bien sûr, il a une vraie vie dans l’édition, l’enseignement… mais il y

Sartre en train de parler à des ouvriers en 1970

est un autre et n’a pas de renommée particulière dans son champ… BHL a beau être normalien, il a tourné le dos à la philosophie comme discipline intellectuelle pour se concentrer sur sa diffusion dans une forme simplifiée et vivre des aventures à l’aide de sa fortune personnelle. Onfray a fait pareil après une carrière de professeur en lycée professionnel, il l’enseigne désormais dans son université populaire de Caen et à travers ses livres-manuels. Il était un brillant essayiste à ses débuts, un écrivain intrasigeant et solitaire, il est aujourd’hui plus un quasi-people d’un côté et un professeur très classique, de l’autre, qu’un penseur en action comme le furent Foucault, Derrida ou Deleuze (ces évocations peuvent même en faire rire certains…).

Le personnage du penseur médiatique correspond aux règles de la séduction la plus large possible. Diction claire et “brillante”, il faut qu’on dise de lui qu’il parle bien. A ce titre, il doit être un beau parleur, un orateur à l’anecdote facile, un prince de salons dans la pure tradition du XVIII ème siècle. Peu importe ce qu’il dit, il lui faut briller en bonne société. Il doit avoir aussi un joli minois, le brun ténébreux au regard perçant a visiblement plus de chance que le gros blond aux joues rouges, mais bon, l’essentiel est d’avoir une personnalité marquée ou plutôt marquante. Il lui faut aussi une thèse simple, un concept qu’il incarnera sans même avoir à parler ; la démocratie contre le mal (au sens large) pour BHL, l’hédonisme libertaire (au sens large) pour Onfray, la déclinologie réactionnaire (au sens étroit) pour Finkielkraut…

Le penseur médiatique n’évolue pas, il se répète, il revient sur lui-même, creuse ses passions d’adolescent, reste accroché à son personnage, qui, comme un personnage de BD parfois (BHL), doit avoir des caractéristiques physiques repérables… A chaque apparition médiatique, il renforce son branding personnel, au contraire du philosophe médiatisé qui quitte la scène médiatique et passe à autre chose, reprend son travail de pensée, quand une de ses nombreuses thèses est suffisamment passée dans les médias (Cf Badiou avec Sarkozy, Comte-sponville avec Epicure, Edgar Morin avec la politique de civilisation…).

Page d'accueil du site de Michel Onfray avec les logos de ses prochains hôtes médiatiques...

Le penseur médiatique est polémique, il fournit ainsi un aliment précieux aux médias qui vomissent les tièdes et vendent plus en cas de scandale et d’invective. Le mot “guerre” est un de ses mots favoris, BHL s’indigne, Onfray “déboulonne”, Finkielkraut gronde… Il faut donc commencer jeune et s’attaquer comme il se doit aux générations précédentes, trouver des boucs-émissaires, s’élever contre et donc se trouver des ennemis assez crédibles…  Les dictateurs, les psychanalystes, les pédagogues post-soixante-huitards… Une étiquette n’est pas inutile, BHL a été lancé sur le marché par Les nouvelles littéraires sous l’étiquette de “nouveau philosophe” qu’il s’est lui-même donnée…

“Médiatique”, “médiatisé”, ces deux catégories sont poreuses, se recouvrent en partie, le saut de l’une à l’autre n’est jamais définitif … il s’agit de figures plus que de types, les types enferment et se dissolvent toujours au bout d’un moment, quand on cherche la démarcation, les figures se transforment et se recomposent, elles attirent à elles et ne limitent pas… C’est surtout un passage qui est ici pointé, ce passage qui rend ridicule et insupportable à certains la posture médiatique de Michel Onfray depuis son Freud, et depuis plus longtemps encore celle de Bernard-Henri Lévy, et celle de Finkielkraut parfois aussi, quand il intervient à tout bout de champ, qui n’ont peut-être pas réussi à rester de simples philosophes dans le champ médiatique, justement parce que, contrairement à Victor Hugo qui a supporté presque vingt ans d’exil, ils n’ont pas su accepter, un moment, d’être “rien” pour protéger leur pensée.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 7

Latest Images

Pangarap Quotes

Pangarap Quotes

Vimeo 10.7.0 by Vimeo.com, Inc.

Vimeo 10.7.0 by Vimeo.com, Inc.

HANGAD

HANGAD

MAKAKAALAM

MAKAKAALAM

Doodle Jump 3.11.30 by Lima Sky LLC

Doodle Jump 3.11.30 by Lima Sky LLC

Trending Articles


Imágenes de Robin Hood para colorear


Dino Rey para colorear


Libros para colorear


Mandalas de flores para colorear


Dibujos para colorear de perros


Toro para colorear


People Walk Away Quotes, Inspire Quotes


Long Distance Relationship Tagalog Love Quotes


Mr. Bolero Best Tagalog Quotes


RE: Mutton Pies (mely)


Pokemon para colorear


Winx Club para colorear


Girasoles para colorear


Sapos para colorear


Renos para colorear


Dromedario para colorear


Tagalog Sad Love Quotes – Lungkot


Love Quotes Tagalog


Tamis Ng tagumpay


Mga Tala sa “Unang Siglo ng Nobela sa Filipinas” (2009) ni Virgilio S. Almario





Latest Images

Pangarap Quotes

Pangarap Quotes

Vimeo 10.7.0 by Vimeo.com, Inc.

Vimeo 10.7.0 by Vimeo.com, Inc.

HANGAD

HANGAD

MAKAKAALAM

MAKAKAALAM

Doodle Jump 3.11.30 by Lima Sky LLC

Doodle Jump 3.11.30 by Lima Sky LLC